Le sodium durant l'exercice, un sujet controversé

Les recommandations

Selon les recommandations de la Société internationale de nutrition sportive, il faudrait, lors d’une épreuve d’ultra-endurance, consommer entre 500 et 700 mg de sodium par litre de liquide, encore plus quand les conditions sont plus chaudes et/ou plus humides et que le taux de sudation est très élevé. Cette fourchette de 500 à 700 mg de sodium par litre de liquide est tirée d’un document datant de 1994. Les valeurs recommandées dans le document sont plutôt de 20 à 30 mEq/L, donc 460 à 690 mg/L, mais autant arrondir. Apparemment, c’est surtout pour prévenir l’hyponatrémie que cette quantité de sodium est proposée, donc éviter une concentration en sodium sanguin inférieure à 135 mmol/L. Même si la recommandation initiale date de 1994, le Collège américain de médecine du sport a repris cette recommandation en 2007, puis la société internationale de nutrition sportive en 2022. Dans tous les cas, le but visé est principalement d’avoir des recommandations sécuritaires qui s’appliquent à tous. La meilleure stratégie de remplacement de sodium est peut-être différente dans un contexte de performance ?

Sodium et performance en endurance

L’effet recherché d’une consommation de sodium durant l’exercice est de maintenir le volume plasmatique et ainsi pouvoir efficacement pomper le sang vers les muscles, le système digestif et la peau (pour la thermorégulation). À ma connaissance, la littérature scientifique ne supporte pas la supplémentation en sodium pour améliorer la performance lors d’efforts de moins de 5 heures. Pour les efforts plus longs, il n'y a pas de consensus non plus, mais une étude a démontré que tenter de remplacer ~50 % du sodium perdu lors d'une épreuve d'endurance d'un peu plus de 5 heures (demi-Ironman) mène à une amélioration de la performance. Dans cette étude, les participants buvaient à volonté et prenaient le sodium sous forme de capsules. Même si le protocole visait à remplacer 50 % des pertes, les participants du groupe prenant les capsules ont remplacé en moyenne 71 % du sodium perdu. Le 50 % était basé sur des valeurs moyennes de sudation (1 L/h) et de concentration en sodium (920 mg/L) et non sur un test de sudation. La consommation de sodium de chaque participant du groupe expérimental était de 2 580 mg, soit 465 mg/h ou 1 358 mg/L de liquide bu. Il est important de rappeler que les participants buvaient à volonté et non de façon programmée. La concentration de sodium par litre est donc nettement supérieure à la fourchette recommandée (rappel : 500 à 700 mg/L) et, même si les participants avaient bu suffisamment d’eau pour perdre seulement 1 % de leur poids corporel, donc bien plus qu’à leur soif, ils auraient tout de même consommé 794 mg de sodium par litre. Bref, une des rares études montrant un bénéfice de la prise de sodium sur la performance en endurance a obtenu ce bénéfice avec une quantité de sodium nettement supérieure à celle recommandée.

Sodium et crampes musculaires ?

Deux hypothèses sont généralement relevées dans la littérature par rapport à la cause des crampes musculaires associées à l’exercice avec d’un côté, la théorie de la déplétion en sodium et de l’autre, la théorie d’une altération du contrôle neuromusculaire. Même si les preuves supportant la première théorie se font rares, elles ne sont pas inexistantes et il est peu probable qu’un mécanisme unique puisse expliquer l’ensemble des crampes musculaires liées à l’exercice. Certains facteurs liés au développement de crampes musculaires — comme l’exercice dans des conditions chaudes et humides — ont pu être associés à la théorie de la déshydratation, mais c’est plutôt en entraînant une fatigue prématurée que ces facteurs auraient un effet. Les évidences scientifiques ne supportent donc pas la prise de sodium pour prévenir les crampes. Il vaut mieux justifier une prise de sodium en se basant sur les effets bénéfiques sur la performance. Considérant que des effets bénéfiques sur la performance sont observés avec une supplémentation supérieure aux recommandations, il ne faut pas exclure que l’absence de relation entre la prise de sodium et les crampes musculaires soit en partie liée à des supplémentations trop faibles dans les études. Par exemple, une étude s’intéressant aux crampes pendant la Western States 100 conclut qu’il n’y a pas de lien entre la prise de sodium et l’incidence de crampes musculaires, mais la majorité des athlètes participants ne consommaient pas plus de 300 mg/h durant la course. La seule variable statistiquement différente entre les participants ayant rapporté des crampes (14% des participants) et ceux n’ayant pas rapporté de crampes est le fait d’avoir déjà eu des crampes.

Les principaux facteurs influençant le taux de sudation

Plus l’intensité de l’exercice est élevée, plus la production de chaleur métabolique est grande et plus le taux de sudation sera élevé. La température ambiante aura aussi un effet important sur le taux de sudation, celui-ci sera évidemment plus grand quand il fait plus chaud. Pour le test de sudation, je préfère considérer l’intensité de l’exercice sur la base de la fréquence cardiaque pour que les données soient plus facilement transférables entre différentes températures ambiantes. Par exemple, le taux de sudation d’un même athlète courant à 5:00/km sera beaucoup plus élevé s’il fait 30°C que 15°C. La différence entre son taux de sudation dans ces deux mêmes environnements sera nettement moins grande s’il ajuste son allure pour maintenir une fréquence cardiaque de 145 bpm. 

Un environnement plus humide réduit l’évaporation de la sueur, ce qui réduit l’efficacité du refroidissement par la sudation et entraîne une augmentation de la température corporelle. Initialement le taux de sudation est augmenté, mais une fois la peau saturée, il diminue. Une déshydratation importante (>2% du poids corporel) pourrait aussi induire une réduction du taux de sudation en raison d’un volume plasmatique réduit. Finalement, les processus d’acclimatation à la chaleur font en sorte que le taux de sudation est plus important pour une même intensité d’exercice dans les mêmes conditions environnementales. Si un test de sudation est fait pour établir un protocole précis en vue d’une compétition, il est alors pertinent de faire le test relativement proche de cette compétition.    

Les principaux facteurs influençant les pertes de sodium dans la sudation

Lorsque le taux de sudation est très élevé, les pertes en sodium par litre de sueur sont aussi plus importantes puisque le taux de réabsorption dans les glandes sudoripares est réduit avec l’augmentation du taux de sudation. L’apport alimentaire en sodium influence également la quantité de sodium excrétée dans la sueur. La quantité de sodium perdue dans la sudation peut être doublée en passant d’un régime faible en sodium (1-2 g/jour) à un régime très riche en sodium (8-9 g/jour). L’acclimatation à la chaleur va induire une meilleure rétention du sodium, donc malgré un taux de sudation plus élevé suite à l’acclimatation, la quantité absolue de sodium perdue n’est pas nécessairement plus grande.

Boire selon sa soif ou de façon planifiée ?

Un débat éternel auquel j’ai contribué au cours de mon parcours académique. L’avantage de boire selon sa soif se résume à sa simplicité. C’est aussi une bonne façon de prévenir l’hyponatrémie. Remplacer une certaine portion de l’eau perdue dans la sudation, généralement pour éviter de perdre plus de 2 % de son poids corporel, serait aussi une bonne stratégie selon la littérature scientifique. Toutefois, il est difficile de calculer son taux de sudation et d’ajuster sa consommation en fonction des conditions environnementales et de l’intensité de l’effort. À mon avis, la meilleure méthode est plutôt mixte. C’est-à-dire de prévoir une certaine quantité de liquide minimale — qui peut aussi permettre de combler une portion de ses besoins en glucides — et de boire de l’eau en plus selon sa soif. Il est généralement assez facile d’ajuster à la hausse en buvant plus aux ravitaillements ou en y remplissant une bouteille de plus pour la prochaine section.

Il peut être intéressant de se peser avant et après certaines longues sorties ou grosses séances d’intervalles pour voir combien de poids est perdu en buvant selon sa soif. Si les sensations sont bonnes et que la perte de poids n’est pas trop grande, alors c’est probablement une bonne stratégie. À noter qu’il est normal de perdre 2 % de son poids sur une longue sortie et une perte de 3 % est même attendue pour maintenir l’équilibre hydrique pendant une course de 100 miles. Dans les cas où un apport dicté par la soif ne semble pas optimal, il peut être intéressant de vérifier si une prise plus importante de sodium permet de boire un peu plus selon sa soif et ainsi limiter la déshydratation. Si cela ne fonctionne toujours pas bien, alors il faudra essayer de calculer très précisément son taux de sudation dans diverses conditions et planifier sa consommation lors des compétitions à partir de ces données.

Test de sudation

En faisant un test de sudation, il est possible d’avoir une meilleure idée de ses valeurs par rapport aux normes et ainsi de mettre en place une stratégie d’hydratation plus précise pour ses prochains défis. Le test débute par un échauffement de 30 minutes à une intensité relativement facile. Un échauffement aussi long est nécessaire pour avoir des données valides et transposables à des efforts plus longs. Ensuite, le poids corporel est mesuré, puis des tampons absorbants sont collés sur les avant-bras pour collecter la sueur. Une période d’exercice d’environ 20 minutes est ensuite réalisée à une intensité prédéfinie, idéalement proche de l’intensité de compétition visée. Puis, les tampons sont enlevés et le poids corporel est mesuré à nouveau. Le taux de sudation est obtenu à partir de la perte de poids corporel et la concentration de sodium dans la sudation est mesurée. Une équation est utilisée pour obtenir la concentration de sodium de la sudation du corps entier puisqu’elle diffère légèrement de celle dans les avant-bras. À la suite du test, un rapport est produit — un exemple est disponible ici. Il est important de garder en tête que le taux de sudation varie en fonction des facteurs mentionnés plus tôt. Les résultats du test ne s’appliquent donc pas à toutes les conditions, mais constituent un bon point de départ pour établir une stratégie.

Comment établir sa stratégie de prise de sodium ?

Comme mentionné plus tôt, c’est surtout pour les efforts de plus de 5 heures qu’il serait intéressant de mettre en place une stratégie de supplémentation en sodium. Pour ce faire :

  1. Déterminer ses besoins. Idéalement en faisant un test de sudation, mais il est aussi possible de s’appuyer sur les recommandations générales (500-700 mg/L) ou selon une concentration dans la sudation moyenne (600-1050 mg/L).

  2. Faire son plan pour la nutrition et calculer combien de sodium est contenu dans les aliments qui seront consommés pendant la course.

  3. S’il y a un manque à combler, prévoir des capsules de sodium (à avaler ou à dissoudre dans l’eau).


Il n’est probablement pas nécessaire de viser à remplacer 100% du sodium perdu. Toutefois, c’est ce que semble proposer le calculateur de Precision Hydration, parfois même davantage. Même s’il s’agit d’une compagnie ayant un intérêt à vendre des produits, je ne doute pas qu’ils aient suffisamment de données de leurs athlètes pour faire des recommandations qui font du sens pour une performance optimale et, surtout, qui sont sécuritaires. Du moins, il ne faut probablement pas s’inquiéter de consommer un peu trop de sodium durant l’exercice. Leur calculateur permet d’ailleurs de créer un plan d’hydratation sans nécessairement avoir fait un test de sudation, en se basant simplement sur ses perceptions.

Finalement, nous avons un appétit sélectif pour le sodium, ce qui signifie qu'en situation de carence, il est normal d’avoir envie de consommer des aliments salés. Cette envie pourrait être un bon signal pour augmenter sa consommation de sodium pendant une compétition.

Points importants :

  • La recommandation actuelle concernant la supplémentation en sodium durant l’exercice (500–700 mg de sodium par litre de liquide consommé) est basée sur des considérations de sécurité, mais elle n’est peut-être pas optimale pour la performance.

  • Il pourrait être avantageux de consommer plus que la quantité recommandée, surtout lors d'exercices prolongés (> 5 heures).

  • Même s’il n’existe pas de lien direct entre la consommation de sodium et l’incidence des crampes musculaires, il est possible qu’un déséquilibre électrolytique exacerbe la fatigue neuromusculaire et joue un rôle dans le processus.

  • L’intensité de l’exercice, la température, l’humidité, le niveau d'acclimatation à la chaleur, ainsi que l’apport en sodium dans l’alimentation, influencent le taux de sudation et/ou les pertes en sodium.

  • En raison de sa simplicité, un apport hydrique basé sur la sensation de soif devrait être considéré et testé avant d’adopter une stratégie plus complexe visant à remplacer une majeure partie des pertes.

  • Un test de sudation permet d’avoir une meilleure idée des quantités de sodium perdues dans la sueur et, ainsi, de mettre en place une stratégie précise pour la consommation de sodium durant l’exercice.

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