Entraînement polarisé

Mon interprétation de la littérature scientifique m’amène à utiliser une approche polarisée de la planification de l’entraînement en endurance. Ce type de périodisation implique peu ou pas d’entraînement au seuil ou autour du seuil. Dans les lignes qui suivent, je tenterai de montrer pourquoi les athlètes d’endurance de tous les niveaux ont intérêt à s’entraîner de cette façon. Pour simplifier le texte, les exemples donnés concernent le vélo. Toutefois, les principes discutés s’appliquent aussi à la course à pied ou à tout autre sport d’endurance.

L’important c’est de pousser des gros Watts quand ça compte!

L’important c’est de pousser des gros Watts quand ça compte!

Premièrement, il est important de définir brièvement les seuils permettant de catégoriser les intensités d’entraînement. Un premier seuil correspond à la puissance à laquelle le lactate sanguin s’élève au-dessus des valeurs de repos. Ce premier seuil, souvent nommé seuil aérobique, est moins utilisé pour prescrire l’entraînement. Le second seuil, communément appelé seuil anaérobique, correspond à l’intensité au-delà de laquelle la production de lactate dépasse son élimination. La puissance produite à ce seuil est généralement assez proche de celle au seuil fonctionnel (FTP / Functional Threshold Power) qui correspond à la puissance pouvant être maintenu pendant une heure. On peut simplifier les choses et considérer que ce seuil correspond aussi à la puissance critique. Dans ce texte, la mention de ‘seuil’ sans plus de précision fait référence au FTP puisqu’il est généralement connu et utilisé par un grand nombre de cyclistes. Le premier seuil est généralement atteint autour de 75 % du FTP et se situe donc à la limite supérieure de la zone ‘Endurance’ ou zone 2 dans un système classique de classification des zones d’entraînement comme celui de Coggan. Une intensité égale ou inférieure à ce 75 % de FTP sera considérée comme ‘basse’ alors que les intervalles à haute intensité se font généralement à une puissance supérieure à 105 % du FTP.

L’entraînement polarisé implique de faire au moins 80 % de ses séances d’entraînement à basse intensité et le restant à haute intensité. L’étude de la distribution des intensités d’entraînement d’athlètes élites de différents sports d’endurance démontre la supériorité de ce type de planification. Des études ont montré que passer moins de temps à s’entraîner au seuil ou autour du seuil serait bénéfique autant chez des cyclistes, des coureurs que des rameurs. Les athlètes moins performant qui ont des volumes d’entraînement beaucoup plus faible ont souvent tendance à s’entraîner à plus haute intensité lors des sorties d’endurance, mais ils auraient eux aussi intérêt à s’entraîner comme les élites. En comparaison avec un entraînement plus polarisé, un entraînement comportant plus de séances réalisées autour du seuil ne réduirait pas seulement la capacité à fournir un effort maximal ou la capacité aérobique, mais aussi la puissance produite au seuil anaérobique. Ceci va à l’encontre de la croyance populaire qui veut qu’on améliore nécessairement notre FTP en s’entraînant à une intensité proche de celui-ci. Une idée qui découle du principe de spécificité, mais qui ne tient pas nécessairement la route.

Rien de mieux qu’une aventure de vélo-camping pour garder l’intensité basse.

Rien de mieux qu’une aventure de vélo-camping pour garder l’intensité basse.

Comme le seuil anaérobique est défini par l’intensité maximale à laquelle le lactate ne s’accumule pas dans l’organisme, il s’agit d’un état relativement stable. Pour stimuler un maximum d’adaptations ne faudrait-il pas justement aller au-delà de cet état stable? Comme pour sa production, l’élimination du lactate continue d’augmenter au-delà du seuil et sa consommation par les muscles est maximale lorsque sa production l’est aussi. Il est donc raisonnable de croire qu’il est plus intéressant d’avoir recours à des séances d’intervalles intenses qu’à des intensités au seuil pour stimuler les adaptations liées au recyclage du lactate et ainsi améliorer son FTP. De plus, il est intéressant de savoir qu’en réponse à une séance d’entraînement, la formation de nouvelles protéines atteint un maximum après 3 à 12 heures et revient à son niveau normal après environ 24 heures. La fréquence d’entraînement peut donc jouer un rôle important sur l’amplitude des adaptations et il est plus réaliste d’enchaîner des séances à basse intensité. Cependant, c’est surtout pour son rôle dans le métabolisme des lipides que l’entraînement à basse intensité prend toute son importance en permettant d’améliorer le passage des lipides à l’intérieur des cellules et des mitochondries. Selon moi, si on devait déterminer un sweet spot en termes d’intensité d’entraînement, celui-ci devrait correspondre à la puissance à laquelle on brûle un maximum de gras (fat max) plutôt qu’à une intensité légèrement inférieure au FTP. D’ailleurs, pas besoin d’une mesure de la consommation d’oxygène pour déterminer le fat max puisque celui-ci est assez proche du seuil aérobique qui est facilement déterminé avec un simple test de lactate. Comme le recrutement des différents types de fibres musculaires dépend de l’intensité de l’exercice et qu’une fibre musculaire ne va s’adapter que si elle est recrutée, la combinaison de séances à haute et à basse intensité serait nécessaire pour optimiser les gains. Cette combinaison d’entraînement augmenterait aussi la résistance à la fatigue des fibres musculaires rapides et pourrait même, à long terme, provoquer une conversion des fibres rapides en fibres lentes. Une augmentation de la capacité oxydative pourrait d’ailleurs mener à un meilleur recyclage du lactate et ainsi améliorer le FTP. L’entraînement polarisé induit aussi une alternance entre la suppression et la préservation de l’activité parasympathique. Cette alternance serait liée à une augmentation de volume plasmatique, une adaptation extrêmement utile à l’amélioration de la performance en endurance. Évidemment, l’entraînement au seuil entraînerait aussi des adaptations utiles à la performance, mais j’insiste sur le fait que les mêmes adaptations seront possibles avec un entraînement entièrement polarisé. En fait, comme certaines adaptations de l’entraînement à basse et à haute intensité se chevauchent, l’ajout d’entraînement au seuil n’amène pas nécessairement une réponse physiologique plus importante.

Finalement, l’entraînement au seuil est souvent justifié en raison de sa composante psychologique. Selon cette idéologie, c’est en s’entraînant à une puissance proche du seuil qu’on développe sa capacité à soutenir ‘mentalement’ cette intensité relativement élevée et la rendre plus facile. De mon côté, je crois justement qu’il faut éviter de s’entraîner au seuil puisqu’avec une certaine fatigue dans les jambes, cette intensité n’est vraiment pas facile. Je préfère prescrire des efforts à cette intensité en fin de séance, après des intervalles ou après avoir parcouru plusieurs kilomètres. Dans les deux cas, ça permet à l’athlète de voir qu’il peut aller vite malgré la fatigue. Par exemple, mon fameux ‘Spécial du Chef’ qui consiste à faire un effort d’une quinzaine de minutes au seuil après 4 ou 5 intervalles intenses de 3 à 4 minutes. À l’occasion, il peut être intéressant de faire un test de 20 minutes, de se mesurer aux autres sur Zwift ou de tenter un nouveau record sur un long segment Strava, mais le but principal est alors de tester ses performances et non d’optimiser les adaptations. Au final, que ce soit pour mon entraînement, celui de mes athlètes ou pour mes plans d’entraînement, je ne jure que par l’entraînement polarisé et je vous suggère fortement de faire de même.

Bon entraînement!

Précédent
Précédent

Pour l’amour du Trail

Suivant
Suivant

La variabilité de fréquence cardiaque de repos